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FASTOCHE !

Article paru dans la plaquette « Pratiques d’éducation nouvelle », n¨ 1, 1995

"Fastoche !" s’écrie Manon. "Fastoche !"imite Odile.
Quel plus grand plaisir pour un enfant de réussir quelque chose ! il n’aime rien mieux que ça. Réussir.

Cependant, réussir ne veut pas dire ne pas échouer...
Le paradoxe c’est qu’il y a des réussites qui sont en réalité des échecs, et des échecs qui sont des réussites.

Il se passe en fait que l’échec et la réussite ne sont pas de la même forme d’énergie...1

Voyons cela de plus près.
Gauthier, fin de première année, est le seul de sa classe à savoir lire quasi couramment. Après avoir un peu épaté les autres avec son savoir, il commence à leur en jeter plein la vue, ce qui engendre dans la classe un climat maussade de mésestime de soi et un sentiment chez la plupart des autres enfants qu’ils n’y arriverons jamais - sous-entendu : jamais comme Gauthier. Lui, c’est un peu d’amertume qu’il ressent à savoir lire de façon si "épatante" car ce qu’il recherche en fait c’est d’être apprécié comme le meilleur, mais les autres se lassent de l’apprécier, et il se retrouve avec seulement de la poussière dans les mains.

Lionel a essayé de grimper au filet. Un moment distrait, sa main se referme à côté d’une maille, il part en déséquilibre et tombe sur le tapis. Echec de la tentative. Comme un ressort, il se relève et regrimpe.

Sandrine tend la jambe pour passer l’un bloc légo géant à l’autre : elle veut arriver à rejoindre le module sans mettre ses pieds par terre. C’est une tâche qu’elle s’est fixée à elle-même comme un défi. C’est raté. Elle recommence. Dix fois elle essaie. Et puis tout d’un coup, elle cesse ses tentatives et part jouer dans un autre coin de la classe maternelle. Echec ? ça n’a pas l’air. Sans doute se dit-elle simplement que demain elle réessaiera encore et qu’elle finira par réussir. Ou simplement, cette prouesse a cessé de l’intéresser et dans quelques jours, si un autre enfant l’y incite elle recommencera et réussira. Ce sera tout facile parce qu’elle aura intégré la difficulté dans la séquence, comme une donnée nouvelle dont il faut tenir compte : pour rester en équilibre sur une jambe sur un bloc Légo, elle aura appris qu’elle doit faire quelque chose avec les bras de façon à compenser le déséquilibre de la position.

Quand j’ai donné à Manon un dessin à copier, le cri du coeur "fastoche !" voulait dire "ça je vois d’avance que je sais le faire, et je vais le réussir". Mais elle ne l’a pas réussi, et en fait ça n’avais pas d’importance pour elle : l’important était d’avoir eu envie de tenter le coup en se créant une image d’elle en train de réussir.
L’enfant qui apprend dans cette ambiance où il n’y a pas d’enjeux placés par les adultes, pas de barre à sauter - qui risquent d’être placées trop haut- baigne dans un univers au delà de la réussite et de l’échec. Juste dans le plaisir de faire, d’expérimenter, de rater et de refaire, d’explorer ses potentialités corporelles, intellectuelles, sensorielles...

L’échec viendrait donc de l’intervention des adultes, dès que ceux-ci imposent des standards de réussite, des niveaux d’exigence ; établissent des comparaisons, fixent des délais, manifestent de l’impatience ou de l’inquiétude.

J’entend deux objections : l’une plate et creuse : "il faut quand même bien un jour fixer des exigences à l’enfant". L’autre plus subtile : "Sans exigences de niveau à atteindre, l’enfant finira par ne plus rien faire."

• Il faut quand même bien un jour exiger...

C’est une objection de type moralisatrice qui confond comportement et apprentissage. Faisons-lui un sort en créant une distinction entre la conduite de l’enfant, dans laquelle il doit respecter un certain nombre de règles sociales, imposées par la vie en groupe ou par la culture dans laquelle il grandit et qu’il doit respecter. OK. Aligner l’apprentissage sur ce plan moral est une grave erreur. Apprendre n’est pas une question morale, c’est une pulsion naturelle qui va entrer en conflit avec la loi du moindre effort qui est, elle aussi, une pulsion naturelle oh ! combien utile à la survie !

Il semble donc qu’en principe, il ne devrait pas y avoir d’exigence à mettre sur le désir d’apprendre : transformer celui-ci en devoir d’apprendre, c’est coincer l’enfant dans une double contrainte du même genre que "sois autonome" ou "tu dois m’aimer". Bien sûr, il y a des exigences sur le produit. L’écriture doit être lisible, le calcul juste, le cahier propre, etc ; mais encore une fois, il convient de ne pas confondre l’acte d’apprendre avec le produit fini de l’apprentissage. La plupart du temps ce produit n’est qu’un moyen pour l’adulte de contrôler (ou d’évaluer, dans le meilleur des cas) si l’apprentissage a eu lieu.

Le but n’est pas le produit fini, mais l’apprentissage. La véritable évaluation devrait porter sur l’apprentissage pas sur le produit, sinon comme un pis-aller.

Le but pourrait être partiellement le produit fini dans le cas d’un projet, mais là encore, une fois que le but fixé a joué son rôle de motivateur, l’important, ce sont les traces d’apprentissage qui restent dans la tête de l’enfant.

• Deuxième objection : "Sans exigences de niveau à atteindre, l’enfant finira par ne plus rien faire."
Facile à réfuter : si l’enfant a besoin d’être obligé de l’extérieur, c’est qu’il a perdu sa motivation intérieure. Donc il y a un problème.

Certes, il y a aussi les détours pénibles par l’apprentissage : ce n’est pas rigolo tous les jours d’apprendre une langue étrangère. Idem pour la lecture et le calcul qui sont des tâches parmi les plus abstraites au monde et qu’on impose aux petits enfants.

Je laisse le soin au lecteurs (ou à une table de travail) de poursuivre la réflexion et de conclure...

Michel Simonis

Paru dans la plaquette "Pratique d’Education nouvelle" n° 1
http://www.gben.be/spip.php?article40
Voir aussi mes autres articles parus dans cette plaquette (sur le site du GBEN) :
Lézarde au Larzac : http://www.gben.be/spip.php?article39
Pas perdu, chemin trouvé : http://www.gben.be/spip.php?article42

Post-scriptum
RELANCE... ET RUPTURE :
« L’école de la réussite »... un leurre ? un piège ?
Quand je dis que j’ai réussi quelque chose, c’est qu’il y avait un risque d’échec, que j’ai surmonté. Le mot « réussite » est dans un champ où pousse aussi le mot « échec », et parler d’Ecole de la Réussite, c’est rester dans la même logique de l’échec possible. Je dirais que vouloir une Ecole de la réussite, c’est un changement « de premier niveau » (Bateson2) : juste un aménagement, pour être juste un peu plus confortablement installé sur la falaise. Car on reste dans le même cadre, où l’enfant vit avec la menace de l’échec pesant sur sa tête.
Si, par contre, on parle de « l’École de l’Apprentissage », on est dans un champ où ne fleurit pas la notion d’échec, mais plutôt "l’erreur", erreur comme source de réajustement. Ce serait un "changement de niveau 2" (Bateson3), un saut logique, pour sortir de la falaise : l’école fondamentale - jusque y compris le premier cycle du secondaire - pourrait être une vraie Ecole de l’Apprentissage, un chantier... où n’a plus cours l’échec comme probabilité.
L’entrepreneur parle-t-il d’un chantier « réussi » ? non sans doute (à moins que ce ne soit un chantier à risque, comportant des aléas, et qu’il les ait surmontés). Il parlera d’un chantier « mené à bien », mené à son terme, bien conduit... Nous préférons cette image-là pour l’école, que celle de la roulette russe !

Michel SIMONIS et Dominique GODET